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par
Actualité Japon
La sombre vérité derrière le taux de condamnation presque parfait du système judiciaire japonais.
Lorsqu’on regarde le système judiciaire du Japon, tout semble très bien fonctionner. Le taux de criminalité baisse de façon continue depuis onze ans et le taux de condamnation est supérieur à 99%.
Mais comment un pays tel que le Japon arrive à avoir d’aussi bonnes statistiques alors que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité n’existe pas et que les écoutes téléphoniques et infiltrations sont quasi inexistantes ?
Tout d’abord, les procureurs doivent faire face à un faible budget. Par conséquent ils vont seulement saisir les tribunaux s’ils sont sûrs de gagner. Pour aller jusqu’à cette étape, il est alors essentiel qu’ils obtiennent un aveu, considéré comme la meilleure preuve possible au Japon.
Selon des ONG, ce genre de système augmente non seulement la probabilité que les délinquants s’en sortent s’ils n’admettent pas leurs crimes, mais cela pousse également aux erreurs judiciaires, en raison des aveux forcés.
« Le processus de détention provisoire reste très opaque », dit Kaoru Yamaguchi, un militant d’Amnesty International Japon. Les avocats de la défense ont plus de facilité à s’entretenir avec leurs clients qu’auparavant, mais ce n’est pas encore suffisant. Il y a un manque de transparence concernant l’interrogatoire des suspects. Nous avons fait du lobbying pour l’introduction de caméras vidéo dans les salles d’interrogatoire et nous espérons qu’un projet de loi sera adopté l’année prochaine qui permettra l’enregistrement d‘au moins quelques affaires. »
« L’autre problème est le nombre de détenus en garde à vue placés dans les daiyo kangoku, des prisons de substitution gérées par la police. »
Dans des pays comme la France et la Grande-Bretagne, les suspects peuvent être placés en garde à vue durant 24 heures. Cette durée peut être ensuite prolongée de 24 heures en France et de 72h au Royaume-Uni, dans le cas d’infractions plus graves.
Mais au Japon, elle est de 23 jours ! Après avoir passé 72 heures de garde à vue, un juge peut ainsi prolonger à la demande de l’accusation la durée de cette détention de dix jours et ce à deux reprises.
« Durant cette période, les suspects sont interrogés du matin au soir par des agents les poussant à admettre leur culpabilité. Dans de telles circonstances exténuantes, il n’est pas étonnant qu’il y ait tant de faux aveux. »
Yamaguchi estime que les affaires impliquant Masaru Okunishi et Iwao Hakamada sont le parfait exemple de l’injustice régnant dans le système judiciaire japonais qui semble traiter les suspects comme étant « coupable jusqu’à preuve du contraire. »
Les charges retenues contre Masaru Okunishi, qui a été arrêté pour l’empoisonnement mortel de cinq femmes dans les années 60, ont été initialement abandonnées en raison d’un manque de preuves. La décision a ensuite été annulée et il a été condamné à mort à cause d’un aveu contraint.
Iwao Hakamada, condamné à mort, a passé 46 ans derrière les barreaux. L’ancien boxeur avait avoué l’assassinat de quatre personnes en 1966, avant de se rétracter, affirmant qu’il avait été contraint de dire qu’il l’avait fait. Il est le sixième condamné à mort à avoir été rejugé après qu’on ait révélé que des tests d’ADN avaient miné un élément de preuve crucial.
« Je ne pouvais rien faire, à part rester accroupi en essayant de ne pas déféquer », a déclaré Hakamada à sa sœur. « Un des interrogateurs a mis mon pouce sur un tampon d’encre, a sorti des aveux écrits et m’a ordonné d’écrire mon nom, tout en me donnant des coups de pieds et en me tordant le bras. »
L’Agence Nationale de la Police insiste sur le fait que « Des efforts ont été faits pour améliorer le traitement des détenus », indiquant la séparation de l’administration pénitentiaire et des investigations, la possibilité de porter plainte en prison ainsi qu’un certain nombre d’autres mesures. Cependant, beaucoup pensent que ces mesures restent superficielles.
« De nouvelles lois sur les prisons sont entrées en vigueur en 2007 afin de permettre aux détenus d’effectuer plus d’exercices physiques et d’avoir davantage de contacts avec le monde extérieur, mais pour les prisons de substitution, peu de choses ont changé », indique Yamaguchi.
« Des violations des droits de l’homme continuent d’avoir lieu, peut-être pas le genre de torture physique que Hakamada-san a dû endurer, mais une torture psychologique provoquant une souffrance mentale extrême. »
Yamaguchi se réfère à une affaire récente dans le village de Shibushi (Kagoshima) où le politicien Shinichi Nakayama et 12 autres personnes ont été accusés d’avoir acheté des voix lors d’une élection locale.
Détenu pendant 395 jours, les policiers ont fait croire à Nakayama que ces ses proches avaient honte de lui, en créant de faux messages le poussant à dire la vérité. Sa femme, quant à elle, a été dans l’obligation de crier ses aveux d’une fenêtre. Elle a passé 273 jours en prison.
Les aveux étant l’élément le plus important dans la justice japonaise, les agents vont tenter toutes sortes de méthodes pour rentrer à l’intérieur de la tête du suspect et les obtenir. Tous les accusés dans cette affaire ont finalement été libérés en raison de la nature suspecte de leurs confessions et d’un manque de preuves crédibles. Aucun policier n’a été mis en cause pour de tels actes.
Selon l’avocat Yochi Ochia, l’une des raisons pour lesquelles des personnes innocentes ont avoué des crimes qu’elles n’ont pas commis serait due à la psyché japonaise. Il a déclaré : « Pendant très longtemps, les gens ont toujours pensé qu’ils ne devaient pas se dresser contre les autorités, ils avouaient facilement. » De nos jours, c’est encore un peu vrai.
En 2012, Ochia a confié sur Twitter qu’un homme lui a révélé par email qu’il avait piraté des ordinateurs afin que ceux-ci envoient des messages, dont certains menaçant de tuer des enfants. Il lui avait indiqué que son but était de dénoncer les actes barbares de la police et du procureur.
Quatre personnes innocentes ont été arrêtées pour ces menaces, et deux d’entre elles ont même avoué un crime qu’elles n’avaient pas commis. La majorité des personnes sur Twitter ont exprimé leur colère face aux actes de la police plutôt qu’à l’auteur.
Malgré cela, une réforme radicale de ce système n’est pas prête d’arriver. Le peuple japonais semble avoir confiance en son système judiciaire.
Tant que le taux de criminalité est faible et que le taux de condamnation reste élevé, les policiers ont la réputation de faire du bon travail, même si cela signifie envoyer des personnes innocentes en prison.
Film sur l’histoire d’Iwao Hakamada :
https://www.youtube.com/watch?v=xh3DbyddD9g
Source : Tokyo Weekender
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