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Hafu : L’histoire de la minorité métisse du Japon

Hafu : L’histoire de la minorité métisse du Japon

Un si petit mot qui a pourtant énormément de sens au Japon.  Adapté pour correspondre au syllabaire japonais, le mot est ainsi prononcé « Hafu » et il décrit une personne ayant un parent japonais et un autre qui ne l’est pas.

 

Ce mot porte souvent certaines connotations et beaucoup de Japonais ont des idées préconçues, et souvent erronées sur ces gens, telles que les Hafus ont des aptitudes naturelles pour l’anglais, qu’ils ont passé du temps à l’étranger et qu’ils possèdent un grand nombre de caractéristiques physiques que les Japonais associent aux Occidentaux.

En même temps, ce mot qualifie quelque chose qui n’est justement pas japonais, et beaucoup de Hafus – même ceux qui n’ont jamais mis un pied en dehors du Japon et qui ne parlent pas une autre langue – ne sont donc jamais vraiment acceptés par la société.

Le projet Hafu a été lancé en 2009 en tant qu’initiative visant à promouvoir la prise de conscience sur la diversité raciale au Japon et les problèmes auxquels font face ceux ayant un héritage mixte.  Après avoir été engagés dans ce projet, deux cinéastes, Megumi Nishikura et Lara Perez Takagi, ont commencé un travail de collaboration qui est devenu un long métrage tout simplement intitulé Hafu.

Après trois ans de tournage, Hafu a été achevé en avril de cette année et a été projeté dans les cinémas indépendants, de Madrid à Tokyo.

Hafu raconte la vie quotidienne et les expériences de cinq Hafus qui ont soit vécu la plus grande partie de leur vie au Japon ou qui y viennent pour la première fois pour en apprendre davantage sur leur patrimoine japonais.

Tourné dans un style documentaire avec la voix des hafus utilisées en voix off, le film a un caractère poignant qui nous donne les larmes aux yeux pour finalement nous laisser optimiste et confiant sur le fait que les attitudes envers les hafus au Japon sont en train de changer, et ce pour le mieux.

 

Découvrez la bande-annonce officielle du film :

 

 

Voici une petite interview de Lara et Megumi qui ont parlé d’elles-mêmes, de la réalisation du film et de la façon dont elles voient la vie dans le futur pour les hafus au Japon, puisque le nombre d’enfants nés de parents métisses augmente chaque année.

 

Parlez-nous un peu de vous.  Comment vous êtes vous impliquées dans le projet Hafu ?

 

Megumi : J’ai grandi au Japon mais j’ai déménagé aux États-Unis avec mes parents quand j’avais 15 ans.  Quand je suis revenue à 26 ans, je pensais que le fait d’être à demi-japonaise n’était plus un problème.

Mais en vivant au Japon pour la première fois à l’âge adulte, j’ai été surprise de voir qu’on me questionnait constamment sur mes origines :  « D’où venez-vous ? »  – me montrant bien qu’ils ne me voyaient pas comme une japonaise – ou « Pourquoi avez-vous un nom japonais ? ».

Toutes ces questions m’ont amenée à me questionner sur ma propre identité.  Dans ma recherche, j’ai commencé à parler avec d’autres personnes à demi-japonaises. C’est à ce moment-là que m’est venu le projet Hafu en 2009.

 

Lara : Je suis née à Tokyo, d’une mère japonaise et d’un père espagnol.  J’ai grandi dans plusieurs pays – le Japon, les États-Unis, le Canada, l’Espagne, l’Australie, etc. Apprendre trois langues différentes et être entourée par différentes cultures m’a toujours fait me sentir différente des autres mais m’a aussi aidée à pouvoir m’adapter à n’importe quel pays où j’ai vécu étant adulte.

Mes parents ont fait en sorte que je sois exposée à leurs deux cultures, ce qui fait que maintenant je me sens culturellement espagnole et japonaise, mais comme j’ai vécu plus longtemps en Espagne, je me sens plus proche de ce pays et de sa culture.

Quand je suis arrivée au Japon en 2007, mon objectif était d’améliorer mes compétences linguistiques et de devenir plus « japonaise » pour m’intégrer à la société, m’y installer à long terme.

Mais après ma première année là-bas, j’ai pensé à beaucoup de choses concernant mon identité car il m’était difficile d’être reconnue.  J’étais constamment interrogée par les gens sur mes origines et mes compétences linguistiques, et les gens ne me croyaient pas quand je leur disais que ma mère était japonaise et que j’avais été exposée à la sa culture à la maison depuis mon enfance.

 

Quels sont vos objectifs avec ce film ?

 

Megumi : Notre objectif est avant tout de sensibiliser le public japonais à l’expérience Hafu.  Quand nous avons commencé à développer l’idée de ce film, nous avons été surprises de voir qu’il y avait vraiment très peu d’informations disponibles sur les expériences de hafus.

Je crois que les hafus nés à la fin des années 70 et au début des années 80 sont la première génération importante de hafus visiblement actifs dans la société, mais dont on sait encore que très peu de choses sur leur expérience puisque c’est un sujet qui n’avait jamais été exploré auparavant.

Personnellement, je pense qu’arrivés à la fin de la vingtaine, les gens ont assez d’expérience de la vie et du travail pour avoir un impact sur la société.  Dans le film, trois des cinq histoires sont des récits de personnes de cet âge-ci alors que ce n’était pas dans notre intention au départ. Voir comment ils contribuent et façonnent la société nous donne un aperçu de ce à quoi le Japon pourrait ressembler quand les enfants de hafus auront atteint les 25 ans.

 

Lara : Nous espérons que ce film sera vu par le plus de personnes possible, au Japon et à l’étranger.  Notre objectif est de faire prendre conscience aux gens de la diversité qui existe au Japon et aussi entamer un dialogue sur ce que cela signifie d’être japonais aujourd’hui.

Pour les gens de l’extérieur, nous espérons qu’ils seront en mesure de réfléchir à l’expérience métisse de leur propre pays.

Alors que le monde se diversifie plus rapidement qu’avant, nous devons commencer à nous demander quels changements sont nécessaires pour que les enfants multiraciaux ou multiculturels puissent grandir avec confiance plutôt qu’avec la peur d’être différent.  Nous serions heureux si notre film pouvait contribuer à faire avancer les gens dans cette direction.

 

Megumi : Un autre objectif spécifique lié à la projection du film au Japon est que nous voulons que les gens voient la façon dont vivent les hafus. A force de voir des modèles et des acteurs à la télévision, le grand public a nourri une image idéalisée des hafus.

Selon cet idéal, les Hafus sont de « beaux modèles », bilingues, avec des traits caucasiens. L’adoration des hafus a même été étendue par les techniques des magazines qui proposent la meilleure façon de se maquiller en se basant sur le maquillage des Hafus. Je suis même récemment tombée sur un chirurgien plastique qui offrait aux femmes de les rendre plus occidentales ou plus Hafus.

J’ai même rencontré des gens qui sont urayamashii [jaloux] des hafus, en disant que tous les hafus sont beaux, qu’ils ont la chance d’être bilingues, qu’ils aimeraient eux aussi être des hafus ou qu’ils voulaient s’occuper d’enfants Hafu le temps d’une journée pour que leurs enfants puissent prendre modèle sur eux.

Même si ces commentaires peuvent être perçus de façon positive, ce sont également des stéréotypes qui simplifient ce que vivent vraiment les hafus puisque bon nombre d’entre nous ne correspond pas à cette image idéalisée.

J’ai entendu parler de hafus à qui on avait dit : « Oh, vous êtes un Hafu asiatique ?  Eh bien, vous ne comptez pas vraiment », ou « Vous ne parlez pas anglais ?  Quel gâchis ! » En faisant ce film, nous voulions montrer que les hafus sont aussi complexes et différents que n’importe qui d’autre.

 

Nous sommes sûrs que le film va intéresser les japonais et les non-japonais. Y a-t-il des moments du film auxquels le public peut facilement s’identifier ?

 

Lara : Beaucoup de parties du film montrent des moments auxquels les gens peuvent s’identifier.  Par exemple, dans mon cas, il m’est arrivé exactement la même chose que Sophia (qui a été élevée en Australie) quand j’ai apporté mon bento japonais (pique-nique) à l’école ; ou quand Alex lutte pour essayer d’apprendre les différences entre les mesures et la monnaie américaines et celles japonaises, s’exprimant en trois langues à la maison ; ou avec Ed qui essaie de trouver d’autres gens comme lui grâce à Internet et aux réseaux sociaux ; David à qui on a demandé s’il était marié à une japonaise… La liste est encore longue.

 

Megumi : On ne savait pas qu’il y avait autant de résonance avec le public avant notre première projection en décembre 2011. Mais je l’ai su quand j’ai entendu des gens rire ou dire qu’ils avaient été émus par la douleur que révélaient nos protagonistes.

Nous n’en savions rien jusqu’au début de la projection au Japon où j’ai réalisé le nombre de personnes, et pas seulement des hafus, qui s’étaient identifiés aux différentes histoires du film.

 

Bien qu’il ait une vision très positive de la vie, David décrit dans une scène chargée en émotion, son ressenti après s’être rendu au Ghana.  David dit qu’il ne s’est jamais vraiment senti bienvenue au Japon pendant son enfance, et que même en allant au Ghana, il avait eu l’impression d’être aussi un étranger.
Nous avons l’impression que ce sentiment « de non appartenance » aux deux pays est l’un des plus grands défis que rencontrent les enfants de Hafus qui grandissent au Japon.  Après avoir interviewé autant d’Hafus au Japon, et avec vos propres expériences en tête, quels conseils donneriez-vous aux familles métisses vivant au Japon ou aux Hafus qui ont du mal à trouver leur place ?

 

Megumi : Il est certainement très difficile de se retrouver dans une situation où vous avez l’impression de n’appartenir à nulle part, mais je pense que cela vient du fait qu’on regarde d’abord le monde extérieur pour savoir si on y appartient ou pas.  Cette validation d’appartenance doit venir de l’intérieur.  Lorsque vous comprenez et acceptez qui vous êtes, je pense que les gens réagiront en conséquence.

Je pense qu’il faut encourager les parents à dire à leurs enfants de ne pas prendre trop à cœur les commentaires des gens et d’être fiers de ce qu’ils sont.  Il est important de renforcer la confiance en soi de votre enfant pour qu’il s’accepte comme il est.  Être un Hafu ne signifie pas être un parfait mélange à 50/50 des deux pays – même si c’est généralement ce que les gens attendent d’eux – donc je pense que pour que les enfants soient fiers de qui ils sont, les parents doivent leur permettre d’explorer ou non les différents aspects de leurs cultures.

J’ajouterai que si vous avez les moyens d’améliorer les capacités bilingues de votre enfant, il faut absolument le faire.  La plupart des hafus que je rencontre qui sont unilingues auraient voulu que leurs parents fassent plus d’efforts pour les élever dans un environnement bilingue.

Je pense que la chose la plus importante pour un hafuu est de trouver quelque chose qu’il aime vraiment faire – un passe-temps, un emploi, un domaine d’étude, etc. D’après moi, quand on a trouvé cette passion, toutes ces attentes externes perdent de leur impact et c’est ils pourront tout naturellement se sentir heureux d’exercer une telle activité qui leur offrira un sentiment d’appartenance.

 

Lara : Les parents jouent un rôle crucial dans l’éducation de leurs enfants, et la construction de la confiance en soi pour ces derniers est la chose la plus importante. Il est primordial de ne pas les laisser avoir un ressenti négatif sur leurs cultures quand ils grandissent, mais je sais que c’est une chose difficile.

Quand j’étais enfant, j’ai eu une mauvaise expérience au Japon à un camp d’été à Chiba et j’ai automatiquement négligé mes origines japonaises, ne voulant plus rien avoir à faire avec cette culture.  Mais grâce à la détermination de ma mère, j’ai été dans une école japonaise le samedi et maintenant que je suis adulte, je leur en suis reconnaissante malgré le fait que je détestais aller à l’école le week-end.

Être conscient de l’éducation que vous choisissez pour vos enfants est très important, mais bien sûr, si l’enfant se retrouve dans une situation dans laquelle il souffre quotidiennement, il est important de trouver des solutions et de lui donner une chance de retrouver cette confiance en lui qu’il a perdue.

Pour moi, la visite des deux pays (l’Espagne et le Japon) et l’apprentissage des deux langues m’a aidée à définir qui je suis aujourd’hui.  Mon conseil aux Hafus c’est d’être fiers de qui ils sont et d’accepter les deux cultures avec lesquelles ils ont grandi.

Je leur souhaite d’être assez fort pour ne pas être affectés par ce que la société attend d’eux.  Vous n’avez pas besoin d’être ce qu’on attend de vous mais juste être à l’aise avec qui vous êtes, et quand vous aurez trouvé ce confort, il ne vous restera plus beaucoup d’autres soucis.

 

A la fin du film, nous apprenons beaucoup de choses intéressantes sur le nombre de familles métisses et sur le nombre croissant d’enfants de Hafu au Japon.  A ce sujet, de quelle manière pensez-vous que le Japon est en train de changer ?

 

Lara : Avec la mondialisation de plus en plus présente chaque jour,  le nombre de mariages internationaux augmente et de plus en plus d’enfants Hafus naissent.  Le Japon est probablement en train de prendre un peu plus conscience de la diversité qui existe au sein de son propre pays, diversité pourtant présente depuis de nombreuses années.  Il est juste lentement en train de reconnaitre ce qu’il a ignoré par le passé.

 

Megumi : En 2008, le Japon a officiellement reconnu les Aïnous, un peuple autochtone d’Hokkaido.  Dans une présentation que j’ai faite au Collège pour filles de Doshisha l’année dernière devant un public entièrement japonais, plus de la moitié de la salle a levé la main quand j’ai demandé si eux ou quelqu’un qu’ils connaissaient avaient déjà eu une relation internationale.

Je crois que le Japon a toujours eu une population diversifiée, diversification qui est de plus en plus rapide en ce moment, mais la prise de conscience de cette situation évolue lentement.  Nous espérons que notre film fera prendre conscience aux gens de ce changement pour commencer à dissiper cette croyance répandue qui dit que le Japon est mono-ethnique.

Il y a un fort accent mis sur le fait d’être tous semblables au Japon.  En japonais, le mot « chigau » – différent – peut aussi avoir le sens de « vous avez tort. »  Je pense qu’avec une hausse de la diversité, la conviction qu’ « être différent c’est mal » va lentement se dissiper.

Grâce à ce film, nous voulons montrer que les hafus ne sont pas si différents – dans le sens qu’ils sont des êtres humains avec des rêves et des espoirs comme tout le monde – et que même les aspects d’eux qui sont différents ne sont pas effrayants.

 

Un grand merci à Megumi Nishikura et Lara Perez Takagi qui ont pris le temps de répondre à nos questions. 

Si vous êtes intéressé par le film « Hafu », il doit sortir en DVD, Blu-ray et sur les sites de téléchargement et de streaming durant l’année 2014.

Le film est également disponible dans le monde entier.  Pour plus d’informations sur les projections et l’hébergement de votre propre événement, visitez le site officiel d’Hafu.

 

 

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