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Décès de Beate Gordon, héroïne très discrète du féminisme au Japon

Décès de Beate Gordon, héroïne très discrète du féminisme au Japon

Beate Sirota Gordon, la femme qui a introduit le principe d’égalité entre les sexes dans la Constitution japonaise, s’est éteinte le 30 décembre à l’âge de 89 ans. Retour sur le parcours exceptionnel d’une féministe qui a marqué l’Histoire.

 

Beate Sirota Gordon. Un nom quasiment inconnu en Occident. Pourtant, cette femme, qui s’est éteinte à l’âge de 89 ans le 30 décembre à New York, a marqué de son empreinte l’histoire japonaise. Ou, plus précisément, l’histoire des femmes japonaises. Car c’est à elle que les Nippones doivent l’inscription, dans la Constitution du Japon, du principe d’égalité entre les hommes et les femmes.

Née en 1923 à Vienne, en Autriche, de parents juifs originaires de Russie, Beate Sirota voit sa jeunesse bouleversée par le chaos européen des années 1930 et 1940. Elle a 5 ans lorsque son père, le pianiste de renom Léo Sirota, accepte un poste à l’Académie impériale de Tokyo, ce qui lui permet d’éloigner sa famille de l’antisémitisme grandissant en Europe. Elle restera dix ans dans la capitale japonaise. La jeune Beate fréquente d’abord l’école allemande, puis face au nazisme qui gangrène l’établissement, elle est scolarisée à l’école américaine. À 16 ans, elle est admise à l’Université de Mills, en Californie.

En décembre 1941, après l’attaque de Pearl Harbor par le Japon, elle perd tout contact avec ses parents. Elle ne les retrouve qu’à la fin de la guerre, quatre ans plus tard, fatigués et amaigris, dans la campagne japonaise. Parlant couramment l’anglais, le japonais, le français, le russe, l’allemand et l’espagnol, Beate Sirota est parvenue à rejoindre le Japon en décrochant un poste d’interprète auprès du commandant des forces alliées, le général MacArthur.

 

Chargée d’une mission ultra-secrète

 

C’est sous ses ordres qu’elle intègre, en 1946, l’équipe chargée de rédiger une Constitution pour le Japon en ruine de l’après-guerre. Elle n’a que 22 ans, elle est la seule femme parmi une douzaine d’hommes à participer à cette mission ultra-secrète. Inspirée par les nombreux textes constitutionnels qu’elle consulte, elle rédige, en moins d’une semaine, une série d’articles qui marqueront considérablement la société japonaise.

Elle introduit ainsi des dispositions révolutionnaires dans un pays régi depuis des siècles par un système patriarcal. L’article 14 de la Loi fondamentale, qui entre en vigueur en 1947, stipule notamment que « tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans qu’il y ait de discrimination dans les relations politiques, économiques ou sociales pour cause d’appartenance raciale, familiale, de religion, de sexe ou de statut social ». C’est également à Beate Sirota que les femmes japonaises doivent « l’égalité des droits entre mari et femme », notamment sur les questions d’héritage, et l’affirmation du « consentement mutuel comme principe fondamental du mariage ». La jeune femme introduit également des articles relatifs au droit à l’éducation et au travail salarié pour les femmes.

 

Des décennies de silence

 

« Les femmes japonaises étaient traditionnellement traitées comme des objets, elles pouvaient être achetées et vendues selon l’humeur du moment. Les femmes n’avaient absolument aucun droit », expliquait Beate Sirota Gordon au Dallas Morning News en 1999, repris par le New York Times daté du 1er janvier.

Beate garde le silence pendant des années sur son rôle dans le Japon d’après-guerre. D’abord en raison du caractère secret de sa mission, mais également en raison de son très jeune âge lorsqu’elle est assignée à cette tâche. Ce n’est qu’en 1995, lorsqu’elle publie, en japonais puis en anglais, son autobiographie « The Only Woman in the Room » (« La seule femme dans la salle », en français) qu’elle devient célèbre au Japon. Au point d’être décorée en 1998 de l’Ordre du trésor sacré, l’une des plus hautes distinctions honorifiques dans le pays.

Toute sa vie, Beate Sirota Gordon (du nom de son mari) est restée liée au Japon. Présidente de la « Japan Society », une organisation culturelle américano-japonaise, dans les années 1950, puis de l' »Asia Society » à partir des années 1970, elle a fait connaître nombre d’artistes asiatiques en Occident. Mais rien ne lui fait oublier la Constitution japonaise. Elle en devient, au cours de ces dernières années, l’un des plus ardents défenseurs. « Sa dernière déclaration publique a été consacrée à défendre […] les articles sur le droit des femmes dans la Constitution japonaise [menacés par le parti conservateur japonais] », a rappelé sa fille, Nicole Gordon, interrogée par le journal japonais Kyodo News. « Elle était opposée à tout amendement de la Constitution en général, mais les articles consacrés au droit des femmes étaient ceux pour lesquels elle s’impliquait le plus. »

 

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