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Ces vieux Japonais qui ne jurent que par le travail

Ces vieux Japonais qui ne jurent que par le travail

Les autorités encouragent les personnes âgées à travailler plus longtemps afin de compenser le vieillissement accéléré de la population et la raréfaction de la main-d’œuvre.

 

Tous les matins, été comme hiver, Mitsumi Kobuna se lève à 05h00, file faire ses emplettes au grand marché Tsukiji de Tokyo puis s’occupe de sa poissonnerie jusqu’à 20h00. Petit détail : M. Kobuna a 73 ans. Rien d’exceptionnel au Japon où nombre de seniors travaillent jusqu’à un âge canonique. Depuis l’âge de 18 ans, ce commerçant souriant et appliqué s’échine 6 jours par semaine à la poissonnerie, affaire familiale depuis quatre générations. Du bout des lèvres, il reconnaît peiner davantage depuis une dizaine d’années, mais il se dit « heureux » et espère travailler encore au moins deux ou trois ans, malgré ses cheveux gris.
 

Des Mitsumi Kobuna, le Japon en a à revendre. Les hommes y travaillent jusqu’à plus de 69 ans en moyenne, contre un peu moins de 64 ans en moyenne dans les 34 pays développés de l’OCDE et 59 ans en France. Les Japonaises triment jusqu’à près de 67 ans – un peu moins de 63 ans en moyenne dans l’OCDE et 59 ans et demi en France. Les autorités japonaises incitent il est vrai les personnes âgées à travailler toujours plus longtemps, afin de compenser le vieillissement accéléré de la population et la raréfaction de la main-d’œuvre. Certains politiques joignent même le geste à la parole, comme l’ex-gouverneur de Tokyo Shintaro Ishihara qui, à 80 ans, vient de prendre la tête d’un parti nationaliste composé de parlementaires septuagénaires.

 
« Si j’arrête de bosser, je vais me sentir vieux », confie de son côté Koji Saito, dirigeant d’un magasin de thé à Kagurazaka, un quartier pittoresque de la capitale. À 75 ans, il affirme travailler 6 ou 7 jours par semaine, 12 heures par jour. « Cela fait 50 ans que je travaille dans le coin. J’essaie d’arrêter progressivement, mais le jour où j’en aurai terminé, c’est un peu ma vie qui sera finie », dit-il. Cette mentalité est particulièrement prégnante dans les générations de la guerre ou l’immédiate après-guerre, une période de privation où un dur labeur semblait la seule voie pour reconstruire un pays dévasté et sortir sa famille de la misère.

 
Pour Kenji Wada, un juriste de 73 ans spécialisé dans les brevets industriels, le travail n’est pas qu’un simple gagne-pain : « L’argent est secondaire, l’essentiel est de remplir sa tâche dans la société. » Depuis la création de son cabinet il y a presque 40 ans, il a ainsi œuvré au dépôt de brevets internationaux pour nombre d’entreprises japonaises, qui continuent à le solliciter : « Ces sociétés me confient des dossiers sans se soucier de mon âge. Je ne peux les décevoir. »

 
Une loi adoptée en août impose aux entreprises de conserver leurs salariés jusqu’à 65 ans, en tout cas ceux qui veulent rester. En parallèle, l’âge de début de versement des pensions va être progressivement repoussé, de 60 ans aujourd’hui à 65 ans en 2025. Ces réformes a priori douloureuses n’ont pas suscité de hauts cris au Japon, dont une frange de la population a fait sienne l’adage « Le travail, c’est la santé ».

 
Alors que dans les pays occidentaux fleurissent les enquêtes sur l’épanouissement au travail, ici la notion de plaisir semble hors de propos : les Japonais ont le sens du devoir et ne se noient pas dans ce type d’interrogations existentielles. « Je ne me suis jamais demandé si mon travail était rigolo ou pas », tranche Seichiro Fukui, 64 ans, dont 41 à raison de 60 heures hebdomadaires comme courtier d’assurances, agent immobilier ou encore marchand de galettes de riz. « Mon père a trimé jusqu’à 80 ans et moi aussi je travaillerai jusqu’au bout. Ma vie s’est construite comme ça et ce n’est pas maintenant que je vais changer ! Et puis, si je prends ma retraite, que vais-je faire ? » s’interroge cet élégant sexagénaire énergique.

 
Au Japon, c’est la question que se posent nombre de travailleurs d’âge mûr : comment ne pas devenir inutile et trouver un sens à sa vie une fois retraité ? Certain ont trouvé la solution : ils retravaillent. Yumiko Tominaga, 61 ans, a pris une retraite anticipée d’institutrice il y a une petite dizaine d’années pour raisons de santé. Une fois guérie, elle a décidé de se consacrer à sa passion : la préparation du thé et la cuisson du pain. « Je me sens revigorée et très heureuse lorsque je travaille au bénéfice de quelqu’un », se réjouit-elle. La jeune retraitée vient de retaper un local dans sa bourgade agricole de Hitachiota, au nord-est de Tokyo, pour ouvrir une boulangerie-pâtisserie spécialisée dans les aliments préparés à la farine de riz.

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